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Sep 2023

Au-delà de célébrer l’art de la vannerie par son entrée dans un «espace blanc», le duo de designers dach&zephir attire notre attention sur la particularité de la maîtrise artisanale comme d’un art du dialogue, du partage, de la diffusion du savoir et des récits ou encore du soin de la matière.L’objet déplace / emmène / promène avec lui, tous ces / ses souvenirs croisés.

Cancan#2_ Ajourer l’histoire…

Video Description

Introduction

Nou ka mandé respekté an machann pistachNou ka mandé respekté an machann pistach[…] Machann pistach sé osi tradisyon péyi-laMachann pistach sé osi tradisyon péyi-la

— Jacky All Stars, Machann Pistach — 1982

Nous demandons le respect envers les marchandes de pistachesNous demandons le respect envers les marchandes de pistaches[…]Les marchandes de pistaches sont aussi la culture du paysLes marchandes de pistaches sont aussi la culture du pays

— Jacky All Stars, Machann Pistach — 1982

Que ce soit au marché, sur le bas-côté ou à l’atelier, la Machann pannyé [01] se mêle aux Machann pistach [02], Machann sowbé [03] ou encore aux pacotilleur·se·s dont la présence illustre, dans ce que rappelle les Jacky All Stars, la tradition même de nos péyi [04].

Au-delà de célébrer l’art de la vannerie par son entrée dans un «espace blanc», le duo de designers dach&zephir attire notre attention sur la particularité de la maîtrise artisanale comme d’un art du dialogue, du partage, de la diffusion du savoir et des récits ou encore du soin de la matière.L’objet déplace / emmène / promène avec lui, tous ces / ses souvenirs croisés.

Il est porté à bout de bras, posé sur une tête ou rencontre de manière fortuite un tray [05] en jour de marché. Une écriture, non plus uniquement orale et de toute l’intensité spirituelle que cela englobe, mais incarnée par sa silhouette. Le geste faisant l’objet. D’une autre façon, l’art de l’invisible rendu visible en contexte caribéen, et où corbeille, pannyé et plateau font vannerie.

C’est dans un total liyannaj [06] que l’on retrouve la vannerie antillo-guyanaise et française.

Vannerie «familiale» ; pannyé karayib et ses fibres cachibou — aroman ; vannerie à nappe[s] et leur confection à partir d’osier ; pannyé machann et sa anse — bord en dentelles ; vannerie à montants parallèles ; pannyé charroi ; vannerie en arceaux en éclisses et latte de bois ; vannerie coco [corbeille] ; vannerie à jour bichèt a koko ou cuir végétal ; bambou ; bakoua ; vannerie en entrelacs ; vannerie fine ; salako [chapeau] ; pomme-liane, siguine, miby [lianes tropicales] ; vannerie « artisanale ».

L’expression d’une matérialité hybride du design, qui chez dach&zephir se caractérise par : une poésie du geste, une sensibilité d’outrepasser les limites, les matières et, les imperfections du savoir-faire. Une hybridation que l’on retrouve au sein du duo lui-même, se témoignant par le tressage des idées et des points de vue.

S’ancrant dans la philosophie globale de la DS Galerie, « Machann Pannié » est loin d’être un moment de monstration sacro-saint, comme nous en connaissons si bien dans l’art contemporain — mais faut-il réellement parler d’art contemporain ? d’artisanat ? ou de design ?

Le dispositif scénographique choisi pour l’espace de la galerie rend possible une lecture double / triple ou pour ainsi dire caribéenne et donc multiple. Une pluralité des voix, des formes, des techniques faisant du panier, un être si varié. Un geste d’ici se répète là-bas.

L’ici et l’ailleurs s’entretissent, non pour faire qu’un, mais pour faire autre. Le geste artisanal virant au commun. Une géographie demandant un déplacement des acceptions dont les prévisibles caractéristiques sont brouillées une fois le pas de côté imposé. L’esthétique de dach&zephir ne permet pas de borner telle ou telle pratique, de circonscrire tel ou tel objet. Un peu de tout [de l’art contemporain ; de l’artisanat ; du design] et subtilement rien à la fois.

Le rien rimant à un tout et déterminant l’élégance de l’objet. Nous sommes face à l’expérimentation de ce que pourrait offrir une créolisation par le design. Serait-ce préméditer une création de l’imprévisible tel que le théorise Édouard Glissant ?

« Les objets naissent de différents protocoles de co-créations imaginés comme de potentielles formes, manifestations de créolisation. Ils donnent à voir des imaginaires multiples de la vannerie entrés en relation »

tel est le début de réponse avancée par le duo.

Le silence et l’immaculé initiaux que l’on retrouverait au sein d’une galerie « classique » laissent place, le temps de la Paris Design Week, à la chorégraphie des corps déambulant, à la fragrance des fruits et légumes-péyi [07], au chant des négociations, et à la profusion des récits voués à la vente. Voilà la scène d’où s’incarne le spectre de la Machann pannyé !

Machann si longtemps déshumanisé·e par ton absence physique dont la seule trace est le résultat matériel… Machann si longtemps accessoiriséex sur ces cartes postales ethnographiques dont les scènes pittoresques ne renvoient qu’à ta condition raciale, sociale et professionnelle…Machann si longtemps perçu·e anecdotique au service du touriste…

Les imaginaires personnifiés du marché d’antan ou plus localement du traditionnel lolo-péyi [08] de Basse-Terre ou de Fort-de-France entre autres, apparaissent spectralement à la DS Galerie par l’aspect modulable de la scénographie — l’expérience en ce jour ne sera sûrement pas la même que celle dans quelques jours.

Le plateau vide témoigne la vente d’hier et l’équipe de la galerie informera sûrement læ visiteureusex d’un réassort prochain. L’avertissement « Veuillez ne pas toucher ! » deviendra l’espace d’un instant un lointain souvenir et tout visiteur·euse pourra et / ou sera invité·e si iels le souhaite à manipuler le cartel-étiquette des pannyé.

Objet du quotidien et du sensible, le pannyé est désacralisé du climat habituel d’une galerie sans pour autant céder à la folklorisation d’un musée ethnographique.

Il n’est surtout pas considéré comme ayant une valeur moindre ou à un prix de touriste dérisoire. Mais à la qualité d’une pièce d’archive : archive du geste qui récolte, qui tri, qui moule, qui tresse ; la qualité d’une pièce exceptionnelle immortalisant un savoir-faire ; la qualité d’une pièce unique à l’avenir infini.

Le projet « Machann Pannié » met en lumière les subjectivités derrière chaque pièce de vannerie. Tout en respectant l’ombre dans laquelle iels se situent volontairement ou non, dach&zephir ont eu à cœur de réunir les paroles et gestes de ces artisan·e·s souvent laissés çà et là dans chaque pannyé.

En final de compte s’emparer d’une part de l’histoire créative qui a été jusqu’ici souvent silenciée. Un moyen de dévirer le cours des choses pour que les pannyé soient un prétexte aux témoignages des artisan·exs, dans un souci de transmettre — l’ébauche d’un savoir-faire en devenir, globalement d’une vannerie hybride, sous-entendant antilloguyanaise et [française] hexagonale et par conséquent créolisée, — aux futures générations.

Notes de bas de page

[01] Marchande de paniers

[02] Marchande de pistaches

[03] Marchande de sorbets

[04]  Pays

[05] Plateau à rebords

[06] Lien, union, enlacement

[07] Denrées locales

[08] Boutique de proximité

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